CANNELLE
... on t'aimait !
On ne peut pas, dans cette chronique ,
ne pas parler du drame qui s’est joué en novembre 2004 en Béarn
. Ce drame a remis sur le devant de la scène la problématique du
la présence , du maintien de l’ours dans nos montagnes. J'ai été
d'abord considérablement triste, puis à la fois scandalisé et écœuré
par la nouvelle de la mort de Cannelle, la dernière ourse de souche béarnaise,
tuée "accidentellement" par un chasseur en haute vallée
d’Aspe. On a osé
parler d' "erreur" , mais le mot est vraiment déplacé
pour la circonstance : je parlerai de faute sans rémission. Un acte qui vient en conclusion de toute une série
de faits. (on apprend après autopsie, que l'ourse marchait
lorsqu'elle a été tuée, et qu'elle a reçu 2 balles dans le flanc...)
Pourtant
la sonnette d’alarme avait été actionnée depuis 40 ans ; des spécialistes
sont intervenus pour éviter la catastrophe et on n’a pas voulu les écouter.
Certains ont consacré leur existence à la sauvegarde de l’espèce.
Beaucoup de plans de sauvegarde ont été proposés, dans un esprit
consensuel,
sans qu'on n'ait voulu en tenir compte. Après la mort "naturelle"
de Papillon, lequel soit dit en passant était farci de plombs, la
nouvelle de la naissance d’un ourson m’ avait remonté le moral : c’était
le fils de Cannelle et de Papillon.
J’ai pensé irrésistiblement au film de l’Ours, avec les plaintes déchirantes
et ô combien émouvantes du petit orphelin, résonnant dans la montagne.
Cet événement sonne le glas de l’ours béarnais . On pourrait
parler de la résistible disparition de nos ours (à l'image de la résistible
ascension d'Arturo Ui ) , tellement l’annonce en avait été faite
depuis longtemps, tellement on voyait inexorablement comme dans un ralenti
cauchemardesque, la balle assassine progresser au ralenti sous des regards
interdits . Pourtant l’ours est indissociable de l’histoire béarnaise
et du patrimoine béarnais, au moins autant que toute autre chose de
par son antériorité. On peut se demander comment
une petite catégorie de personnes ne peut supporter la présence
discrète d’une poignée d’ours effarouchés.
Pourquoi des réflexes qui ne se justifiaient plus ont-ils été conservés ,
pourquoi des haines déplacées ont-elles été entretenues voire exacerbées
?
Avant
le XX° siècle, les ours étaient les maîtres de la montagne béarnaise
avec plusieurs centaines d’individus. On comprend la nécessité qu'il y
avait alors de s'en défendre . Mais à bien y réfléchir, ils étaient dans nos
montagnes bien avant nous, des millénaires avant, certainement et eux nous ont
toléré à leurs côtés. Ne serait-ce pas faire preuve d'humanité
autant que d'humilité, d'accès à l'âge adulte, voire de faire
preuve d'une
certaine grandeur d'âme, que de protéger ces quelques survivants, comme
on le ferait pour des enfants (même parfois récalcitrants).
L'homme n'y gagnerait-il pas quelque part à faire valoir sa part
d'humanité ; en se montrant protecteur d'une nature qui ne dépend plus
(hélas) que de lui !!!
Pourquoi la coexistence entre l'homme et l'ours , qui se passe si bien
dans beaucoup d'endroits, génère tant de mauvais sentiments chez
nous (il est vrai que certains ont alimenté et amplifié ces tendances négatives par des propos
débordant de démagogie malsaine: ils peuvent être heureux ; il n'y a
plus d'ours béarnais)
A l’image du génocide indien, le massacre des ours est le génocide
pyrénéen . Il ne serait pas
inintéressant d'effectuer un travail d’analyse, avec tous ses tenants et ses aboutissants, en
isolant la part de la démagogie, des mensonges, l’entretien de peurs
irrationnelles , voire l’incitation à la haine ; ayant conduit à
la situation qu'on connaît. Démonter la
teneur des discours... Remonter la chaîne
des responsabilités…
Tout de même, n'est-il pas possible de regarder plus loin que son nombril
?
comment n'est-il pas possible de prendre du recul en situant les choses dans
un contexte plus général ? Comment peut-on ne pas vouloir se
rendre compte de la superbe image des Pyrénées que renvoie l'ours, du
seul fait de sa présence? Comment ne pas percevoir le formidable impact
que cette image délivre au niveau du tourisme. Un symbole puissant, témoignant
d'une nature préservée , sauvage et souveraine (logo de la Pierre
Saint-Martin) ..Ceci est un élément à prendre de plus en plus en considération
, du fait du chamboulement des structures économiques...En extrapolant,
on peut se demander si l'ours ne permettrait pas finalement
(indirectement bien sûr ) à nos enfants de pouvoir rester au
pays ??? - Alors oui pour la réintroduction d'ours semblables génétiquement
aux ours pyrénéens. Enfin, comment ne pas regarder les choses d'un point de vue
général en faisant preuve de solidarité, d'intelligence, de tolérance, afin que tout le monde y
trouve son compte ?
Il existe un mot pour dire ça: c'est
consensus.
On pourrait dire aussi prise en
compte de
l'intérêt général
En attendant, il nous faut maintenant penser à conserver le 2°
symbole puissant (et surtout vivant) du Béarn : notre belle race de
vaches béarnaises, laquelle n’est plus présente que dans une
dizaine de troupeaux.
*Un nouveau drame a frappé le Béarn au début du
mois de mars 2006 avec l'annonce de la non-réintroduction d'ours dans nos
montagnes. Il y en a eu 5 de lâchés en Haute-Garonne et Bigorre alors que
c'est la mort de Cannelle qui avait initié ces nouveaux apports après
l'énorme émotion qu'elle avait provoqué dans la France entière . Ces
ours étaient prévus en priorité pour le Béarn (il avait même été
question d'en lâcher 10) , mais le même lobby groupusculaire qui a
entraîné la disparition de l'ours en Béarn, harangué et aveuglé
par les propos grandement disproportionnés de certains responsables-irresponsables, a
eu raison de ce louable projet . C'est ainsi qu'une minorité de personnes
s'arrogeant un droit absolu sur nos montagnes vient de priver en peu de
temps et en toute
inconscience, le Béarn , d'un grand pan de son patrimoine .
Réactions après la relaxe (fin avril 2008) du
chasseur responsable de la mort de Cannelle:
"On est toujours
déçu quand on attend de la justice qu'elle rende une décision
permettant au monde d'évoluer dans le bon sens! dans les faits,
cette décision conduit à autoriser la chasse à l'ours. Quel que
soit le moment, le grenelle.. c'est toujours le même scénario:
des mots ronflants d'un côté, des pratiques archaïques, de
l'autre."
Lionel Brard, avocat du
Fonds mondial pour la nature (WWF) |
"..le chasseur
n'était de toute façon pas le seul responsable. Tout le monde
savait que l'ourse était dans le secteur. C'est aussi le
résultat des choix de l'état, qui a délégué sa mission de
protection de l'ours à des gens incompétents. la mort de
Cannelle aura démontré la faillite totale des responsables
locaux, au premier rang desquels Jean Lassalle, président de l'IPHB"
Stéphan Carbonnaux, chargé
de mission ours, pour FERUS |
"C'est une
décision sans surprise qui reprend l'ordonnance de non-lieu,
mais qui signifie que l'ours n'est plus protégé. La seule
solution serait de limiter la chasse dans les zones où il est
présent. Là, la balle est dans le camp du préfet, de l'état,
pour qui la décision du tribunal est une condamnation sans
appel. Ce jugement souligne ses carences en matière de
protection de l'ours. ..."
Jean-François Blanco,
avocat de France-Nature-Environnement. |
"Après cette relaxe, oui, il
y a de la déception. Je suis quand même surpris de constater à
quel point les sensibilités sont différentes selon les
juridictions. En avril 2007, la chambre de l'instruction n'avait
pas laissé de place au doute quant à la culpabilité du
chasseur.. Ce que je retiens, c'est que l'état aurait pu éviter
que ça ne se passe... Il y a de quoi être inquiet pour les
espèces protégées dans les Pyrénées. Nous avons décidé d'aller
jusqu'au bout de nos possibilités juridiques. Cannelle ne peut
pas être enterrée en toute impunité. Le FIEP renouvelle sa
demande de réparation, pour que l'état lâche, au minimum deux
ourses en Haut-Béarn"
Gérard Caussimont,
président du FIEP - groupe Ours Pyrénées |
|